Après l'interview avec Liu Cixin : peut-on parler politique avec un-e artiste chinois-e vivant en Chine et comment ?
Quelques mots sur le contexte et la teneur des échanges avec Liu Cixin après la diffusion du podcast de "C'est plus que de la SF" (avec Lloyd Chéry) - voir billet précédent :
(pour répondre à des questions légitimes qui se poseraient peut-être sur le contenu de cet interview avec LCX)
Préalablement, même si c’est peut-être peu naturel sur cette plateforme (reponse postée sur Twitter), il me semble important d’écouter l’entretien AVANT de donner son avis sur le contenu ou d’imaginer quelles questions ont été posées (c’est quand même mieux pour formuler ses arguments).
Tout d’abord : peut-on parler politique avec un-e artiste chinois-e vivant en Chine ? La réponse est bien sûr oui. Et contrairement à une idée reçue, les Chinois parlent beaucoup de politique. La question est plutôt « comment ? »
Je précise que je parle en connaissance de cause : il m’arrive très régulièrement d’interviewer (face publique) et d’échanger (face privée) avec des écrivain-es de Chine, de Hong Kong, de Taïwan, de différentes ethnies, vivant parfois dans l’espace concerné ou en dehors.
Deux précisions qui me semblent importantes avant d’entrer dans le cœur du sujet :
1) faire parler un-e écrivain-e d’un régime politique (PCC) ou d’une figure étatique (Xi Jinping) n’a rien d’automatique : vous noterez que les interviews d’écrivain-es français-es que vous pouvez lire/écouter n’invitent pas forcément à prendre position pour tel parti ou à donner son avis sur telle figure politique.
2) ce n’est pas un secret, la Chine est un pays (au mieux) autoritaire, avec un chef d’état autoritaire à sa tête.
Partant, il n'est pas difficile de comprendre que :
1) il est compliqué de demander à un individu vivant dans une dictature avec sa famille de vous dire ce qu’il pense dudit dictateur
et 2) les informations que l’individu reçoit et utilise pour façonner son avis sont au moins aussi filtrées et biaisées que les informations reçues à l’extérieur dudit pays
On en vient à un point crucial : il importe de protéger celui ou celle que vous interviewez publiquement, ainsi que ses proches. Si vous ne le faites pas, il ou elle aura probablement ce réflexe lui-même (quelle que soit d’ailleurs son opinion politique).
Maintenant que les faits sont posés, 5 stratégies sont envisageables pour l’intervieweur :
1) L’attitude « gros sabots » : passer outre le contexte et le danger pour l’interviewé-e : poser des questions directes et sans filtre pour l’amener à recracher une rhétorique officielle ou lui faire prendre le risque de contester publiquement la doxa (l’exemple pour LCX, c’est « l’interview » dans le New Yorker en 2019 : https://www.newyorker.com/magazine/2019/06/24/liu-cixins-war-of-the-worlds)
2) L’auto-censure : éviter toute question dont la réponse pourrait être interprétée comme l’affirmation d’un point de vue politique. C’est évidemment une posture... politique…
3) L’attitude « culturaliste » : questions du type « Et la culture chinoise… ? » « Vous, en tant que Chinois… » « En Chine, pense-t-on que... » (la posture la plus fréquente, malheureusement, et généralement peu appréciée par les écrivain-es, LCX ne faisant pas exception – voir les dernières questions de l’interview avec C'est Plus que de la SF)
4) Faire parler l’œuvre et la réception de l’œuvre (notre premier choix dans ce podcast) : dans le cas de LCX, questionner par ex la théorie de la "forêt sombre" pour ce qu’elle est avant tout : une hypothèse fictionnelle servant le développement d’une histoire ; demander ce que l’auteur pense de sa récupération (politique) hors du cadre fictionnel
5) Considérer la politique comme une affaire plus « macro » (deuxième choix de ce podcast). Ce que permet facilement la science-fiction : par ex, quels choix politiques pour l’humanité face à une crise majeure (COVID, crise climatique…) ?
Tout ça pour dire qu’à mon humble avis, l’interview menée est sans doute l’une des plus « politiques » que vous aurez à entendre de l’auteur (exception faite de l’interview « gros sabots » du New Yorker en 2019 mentionnée plus haut). Enjoy !
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